Le Pont des Arts et des Rencontres Culturelles Blanche Maynadier

"ça casse pas trois pattes à un cadavre... " de M.H. D

début du livre

CHAPITRE 1 – Profession : Éradicateur

« Bonjour ! » lança Chloé à la tronche de premier de la classe qui venait de s’approcher de la photocopieuse devant laquelle elle se tenait.

Pour toute réponse, elle eut droit à un magma de sons volontairement inaudibles qui ne laissait rien présager de grandiose côté contact humanoïde mon amour. Mais c’est Chloé que cette rencontre avait laissé sans voix. Le hasard si pernicieux qui se joue de tout venait de l’électrochoquer. Car Chloé l’avait immédiatement senti : ce premier communiant dans sa petite chemise blanche manches longues, elle n’était pas près de l’oublier. Elle tomba illico raide dingo de ses lèvres charnues et de son nez busqué… Sans parler de ses fesses rebondies de sportif, de ses épaules au carré tout comme ses cheveux noirs qui contrastaient si bien avec le bleu lagon de ses yeux. Certes, il n’était pas très grand pour 1m76 ni très gros pour 73 kg mais cela le rendait parfait aux yeux de Chloé qui détestait devoir lever la tête pour rencontrer une tronche d’homme juchée sur un cou inaccessible. Vraiment alluré le gars. Pas un beau mec mais l’intello avec de la gueule et de l’indifférence à déstocker en masse. Le charme de la quarante cinquième qui en a bavé quoi. Pourquoi lui trouva-t-elle l’air spécial ? Une intuition comme ça pour rien. Puisqu’elle l’avait repéré, elle le savait, il l’était, pas banal. Elle ne se trompait jamais.

Chloé Hautsmurs venait d’arriver dans cette entreprise. Un peu perdue, carrément décalée. Elle ne trouvait pas ses repères. Avocate dans un grand cabinet d’affaires, habituée à circuler en jaguar et à fréquenter le beau linge entretenu avec de la bonne lessive, elle avait fui ce milieu où on la confinait à rester collaboratrice à son associé chéri pour le meilleur et pour le pire. Elle avait dit merde et s’était barrée en courant. Elle se retrouvait donc à la Défense, dans les services de direction d’une grande entreprise. Une des plus vieilles tours du coin. Les chiottes ressemblaient à celles du camping des oiseaux. Et bien qu’elle n’eût rien en particulier contre le camping, elle se souvenait nostalgique que dans le 16ème, on fait ses besoins chics, c’est moins avilissant ! Néanmoins, elle se rendit compte que ça soulageait pareil, même si ce n’était pas en or massif et résolut de ne pas se constiper pour autant… ni d’en faire une colique hystérique. En un mot, elle s’intégra du mieux qu’elle put. Elle fit plus ample connaissance avec Edouard-Jean, dit EJ, son coup de foudre. On lui apprit qu’elle devrait travailler avec lui. Il était financier, trilingue et veuf. Bon, pourquoi pas.

Elle n’était pas très grande Chloé. 1 m65 pour 47 kg. Juste moins petite que les petites et quand même un peu grande par rapport aux grandes. Elle portait avec un air d’adolescente mûre ses 38 ans. Elle avait des mensurations idéales pour être à la hauteur. Petite cylindrée avec une belle santé, de l’énergie à revendre, un humour corrosif, de la dérision à gogo ; sa crinière brune, son teint beige clair et ses grands yeux noirs lui donnaient du chien. Plutôt extravertie, mais sous cet air Barbie espagnolisante revisitée bourge à la parisienne, se cachait une forte détermination et un caraco à toute épreuve.

EJ ne se donnait pas beaucoup de mal pour établir le contact. Pourtant, derrière son style placide, elle avait repéré son petit humour discret, tombant toujours à pic, et très en filigrane. Le truc indécelable pour les non-initiés. Elle comprit, elle fonça, il craqua un peu ! En tout bien, tout honneur seulement. Ils avaient une belle connivence intellectuelle et s’appréciaient.

La dernière fois que Chloé avait eu une certaine entente avec un mec, cela avait fini dans l’arène. Non qu’elle ait gardé les oreilles et la queue, seulement une souffrance diffuse, comme un mauvais combat, dans lequel chacun y laisse un morceau de vie, avec une convalescence douloureusement endurée. Elle guérissait tranquillement avec EJ. Ils déjeunaient souvent ensemble, s’amusaient beaucoup.

Mais une ombre au tableau se faisait menaçante. Alors que les ondes spirituelles se teintaient de sensualité, elle sentit une réticence de la part d’EJ. Il lui annonça tout de go qu’il n’aimait pas les femmes. Était-ce pour l’éloigner ou la cantonner dans le rôle de la gentille et marrante collègue de bureau ? Était-ce dicté par la peur ou par une réelle attirance pour les mâles ? Elle se sentit défaillir : serait-elle tombée amoureuse d’un homosexuel ? Elle ne s’était pas imaginée un seul instant que cela pourrait lui arriver. Elle qui cherchait l’âme sœur avait déjà imaginé, pensait-elle, tous les scenarii : le p’tit jeune très tendron, le pas tout à fait divorcé avec ou sans enfant, le vieux divorcé option marmaille, le jeune veuf esseulé, le veuf de longue date perdu sans sa Rebecca, le célibataire endurci mort ou vif, le parfait, le plus que parfait, le conditionnel futur, l’imparfait du subversif, l’acteur de film avec un X. Mais jamais le guêpier dans lequel elle se jetait, imaginé elle n’aurait. Elle n’eut guère le loisir de psychophilosopher sur cette nouvelle embrouille sentimentalo-merdouilleuse qu’un drame s’abattit sur l’entreprise.

Derniers commentaires

10.05 | 13:25

Hello Didier,
Après Art-Cœur, un autre point de contact avec tes mondes poétiques, j'attends la prochaine rencontre avec impatience,
Christian

24.04 | 07:54

"La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer le silence" (Miles Davis)

08.11 | 18:36

Bonjour, j'ai cotoyé votre maman à Molay et je voudrais vous envoyer une photo que j'ai prise devant sa maison natale

07.08 | 16:21

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