Le Pont des Arts et des Rencontres Culturelles Blanche Maynadier
Avant-propos
De Martial Maynadier, Directeur de la Collection le Parc
Annick Marc-Duprey, dans ce recueil placé sous l’égide de Baudelaire, et de l’évocation des « merveilleux nuages », nous livre une méditation poétique élégiaque et divertissante en trois actes.
La première partie est sombre, écrite nous dit-elle à « l’encre de mes nuits ». Au commencement est une blessure, et de cette blessure un sang d’encre s’écoule, celui du désamour qui obscurcit la vie et le ciel qui la surplombe. Mais dans ce ciel pourtant, oiseaux et nuages donnent l’image du passage, et font entendre l’appel d’un ailleurs meilleur, qui pourrait bien être d’abord celui de l’écriture comme une terre nouvelle qu’on entrevoit aux lointains.
Les cotonneux nuages, frôlés par la plume de l’oiseau guident l’auteure et accompagnent le lecteur dans le deuxième temps du recueil. Avec tendresse et douceur, l’enfance ressurgit, les douleurs se fondent en nostalgie, et le ciel s’éclaircit. En prenant du recul et de la hauteur, la vie redevient meilleure, la plume de la poétesse, suivant celle de l’oiseau, l’écriture trouve sa voie et sa voix,
La troisième partie nous emmène au pays des songes, et des rêveries légères. La plume devient « celle de l’oreiller » … L’ironie très présente, et des références implicites à Prévert, explicites à Raymond Devos, nous éloignent de la dramaturgie Baudelairienne, la vie revient avec l’humour… Et l’amour même reparaît, à nouveau possible. Le recueil se termine dans la gaité et donne toute sa place « au plaisir des mots », offrant au lecteur la réjouissance de l’esprit et le réconfort d’un beau message de non-désespérance.
Les merveilleux nuages, ont rempli leur office. Ils nous ont transportés au pays du rêve et de la poésie, tout comme les beaux textes ici proposés.
Extraits :
À mon père
C’est ainsi que la peine s’inscrit
Trouée dans le ciel
Vols planés d’hirondelles
Vapeur flottante laissée par un réacteur.
C’est ainsi que les pleurs
Onde claire et brillante
Tracent un sillon d’argent.
C’est ainsi que la peine s’inscrit.
L’âme de papa s’est envolée.
Elle visite le grand monde mystérieux du ciel
Et pactise avec les étoiles,
Elle se pose sur le grand chariot
Avant de rejoindre la constellation
Nébuleuse de la lagune.
Là, où les songes blancs
Se dispersent dans les étoiles
Dans le grand silence vaporeux,
Seulement froissé par les battements d’ailes des anges.
Ils viennent,
Et on les pose là,
Comme cela.
Et ils restent,
Sans pied lever,
Avares de leurs mouvements,
Comme si leur survie tenait à l’immobilité.
Economie de gestes, préserver leurs forces.
Mais leurs yeux dans leur visage
Restent étonnamment vivants et jeunes.
Subsiste, dans le regard qui pétille,
Le reflet fugace de leur ancienne vitalité,
Comme s’il leur restait encore à s’émerveiller
Du chat qui dort.
Mais il est mort,
On ne s’en souvenait pas.
Ils ne comprennent pas.
Ils boivent un petit coup,
Une petite lampée, encore une petite lampée,
Encore une
Et ensuite ils en redemandent.
S’étonnent que le verre soit vide.
Ah ! je l’ai déjà bu.
Et ils en reprennent.
Ils ont toujours soif,
Ils disent qu’ils n’ont pas faim
Mais ils mangent quand même ;
Leur corps est insatiable
Mais se nourrit de peu.
Ils entendent comme dans un brouhaha
Les conversations,
Sans vraiment les comprendre,
Réfugiés dans leur univers, calqué
À la mesure de leurs forces ;
Ils sont dépassés par les événements.
Et untel, il a cassé sa pipe ?
Et le fils Duval,
Alors, il n’est plus marié avec la même femme ?
Et la fille de Gérard, alors, elle est au Canada,
Et ils répètent « au Canada » ?
Ils hochent la tête,
Ils n’en reviennent pas.
Ah, ah, ah bon, eh oui vraiment !
Et puis, ils repartent dans leurs souvenirs,
Souvenirs d’un autre monde,
D’une autre époque,
Dont les contours les plus précis
Deviennent soudain floutés...
Ils ne savent plus trop
Sur quelle planète ils vivent ;
Leurs références n’ont plus cours,
Leurs lèvres bougent à peine,
Les événements les dépassent
Et ils se tassent, si petits,
Minuscules qu’on les oublie ;
Tout va trop vite, trop loin,
Trop loin, toujours trop loin.
Et ils s’éloignent peu à peu,
Se réfugient, menus, menus
Dans les yeux clos, dans les mains croisées,
Dans les rêves disparus.
Voici venir octobre
Quand les bourrasques
Se lèvent,
Charriant avec vigueur
Les multitudes de feuilles
Qui volent.
Novembre arrive avec ses brumes
Étire ses lambeaux blancs
Sur les étangs,
Le ciel défiguré perd ses couleurs
Les contours naturels se floutent
Les aubes partent à reculons.
Décembre ferme la marche
Suivi de son cortège de frimas ;
Les engelures aux pieds
La surface vernissée des eaux
Les fenêtres dentellières
Dans les maisons bien closes.
Dans cet espace limité,
Scruté par nos regards
D’où les bornes du ciel s’échappent,
Soudain Noël éclate
En clarté et scintillements.
À ma mère
Avoir envie de rêver
Le nez en l’air
Le pied léger.
Rêver au ciel des rêves
Guidée par les oiseaux,
Courir sur la grève.
Rêver,
Les yeux dans les nuages
Les pieds dans la rosée.
Rêver,
À jamais rêver
Sur la mer des envies
Rêver à une autre vie
Où tu étais vivante
Et pleine de gaieté.
Rêver,
Dans l’absurdité du chaos granitique
Rêver dans le délire des souvenirs.
Là-bas loin sur la grève
Une silhouette s’éloigne
Vers le tréfonds des mers
Lente progression des âmes chères
Vers le bleu infini.
Hélène
09.08.2018 07:35
Annick,
Au plaisir de lire très prochainement l'intégralité de ton recueil !
Bises
Hélène
Derniers commentaires
10.05 | 13:25
Hello Didier,
Après Art-Cœur, un autre point de contact avec tes mondes poétiques, j'attends la prochaine rencontre avec impatience,
Christian
24.04 | 07:54
"La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer le silence" (Miles Davis)
08.11 | 18:36
Bonjour, j'ai cotoyé votre maman à Molay et je voudrais vous envoyer une photo que j'ai prise devant sa maison natale
07.08 | 16:21