Le Pont des Arts et des Rencontres Culturelles Blanche Maynadier

L'EXIL EST UNE PATRIE

Préface de l’auteur

Je suis un homme mangé de prières,

Traversé de ruisseaux, de rivières,

Et de fleuves

 

Écrire ? Pour sortir de ma tête et de mon corps et tenter de rencontrer la tête et le corps de l’autre. Mais sortir du pays de son corps n’aboutit pas toujours à la rencontre espérée de l’autre.

 

Alors, le chemin du verbe, la route de paroles, s’ils ne permettent pas toujours l’accès au pays des autres, constituent pourtant la patrie du poète ; une patrie nomade, celle fondée par l’écriture. Être une route vers les autres, implique cependant de se confronter aux limites de l’expérience littéraire et humaine.

 

Cet exil poétique devient alors le territoire mouvant qui s’offre à notre conscience errante, laquelle, faute de mieux, cherche réponse dans l’espace offert à l’harmonie de ses cris. Sortir de sa tête avec les jambes des mots.


JE SUIS UN JARDIN

 

 

Je suis un jardin qui cause à d’autres roses

Et l’enfant regarde fleurir l’empire

Dans le bouquet assoupi de ton sourire.

La mer, meurtrière de la terre, rutile,

La première embrasse ses colliers rompus d’îles.

La rivière enterrée sous les pas du Seigneur

Et les monts de la fiancée

Approfondissent le baiser que sidère la prière de l’acier.

Le prophète orne la prairie de sa parole

Avec les pétales décousus de la lyre,

Sa raison, pourtant, empoigne le fleuve de son délire.

Il déborde de souffle et l’Esprit aiguise le tranchant

Des épées de sa vision ;

L’inspiré parle au ciel, geste éternel, avec les bras armés de l’oraison.

Il prédit la marche d’un verbe rouge d’annonce

Que le viride escalier de l’été prononce.

Sa lèvre décline la néfaste colline

Dont le mot de la plaine imagine

Et rime les victimes.

La mer récupère le désert et le vent désaltère les voiles

Dont la soif fait sourire la source des étoiles.

Seigneur, des hommes ont passé devant l’histoire de ta Face,

Aucun n’a gardé mémoire de ton blé récolté sur le corps

De leurs traces ;

Mais le pain qu’ils mangent

Dans ta main fait chômer les oiseaux et les anges.

Chantons le temps qui reste

Et nos gestes nourrissants accompliront l’éternel indigeste.

Le pays qui débouche sur le front de nos plaintes

A de secrets chemins où les arbres, battus, s’éreintent ;

Le forestier y décoche ses haches mourantes

Sous les coups du silence

Et le chaperon profond prépare

Le loup vétuste au déjeuner d’enfance.

Le chant s’est tu

Aux lèvres dévêtues,

Les épées sont nées

Dans le sang irritant

Et celui des années pardonnées.

La belle,

Il faut éterniser la vague d’une chanson rebelle

Et perdurer notre porte, vive, fidèle,

Aux lèvres mortes de la citadelle.

Il est des soupirs

Dont l’empire, excédé, se retire,

Les statues

Ont des vues

Sur les jardins têtus

Qui contemplent le roi

Soumis aux allées victorieuses du pas de ses choix.

Le fier et le fourbe

Jamais vraiment ne se courbent

Et la femme requiert l’âme loquace

Que l’amour bavarde sur la suite en fuite des hélas.

La rivière sermonne sa distraite vallée

Où les prés, jubilants, applaudissent

À l’écoute des ondes et de leurs en-allés.

J’enquête le souffle

Et le vent, duquel l’ode s’essouffle,

Cherche laquelle de ses bouches,

Sur les mots de la forêt, fera souche.

Les enfants, les parents

Qui irritent la montagne dont la neige les attend

Sont des meurtres errants.

Je t’aime, ô dame des eaux en berne,

Comme la rivière qui poursuit dans la mer de nos internes

Le récit de tes cernes.

 

 

TROPIQUES

La rivière au galop

Étonne la mer assise.

Il y a des eaux

Éventrées d’oiseaux

Aux ailes concises,

Il y a des nuages comme tombeaux rapides

Du soleil venu hennir

Ses souvenirs sapides.

La prière est ciel cousu

Aux merveilles de l’abeille

Qui veille sur les paupières

D’un feu qu’assermente la lumière.

Revoir le jour

Où l’amour

De naguère

Est parti

Défaire guerre

Sans souci d’éveiller

Le soupçon des retours.

Je songe à la belle, de la vigne, effeuillée,

Et que le vin accourt.

Je prise

Les étés fiancés

Qui courtisent la brise

Où le cœur s’en va dévot

Au vol du papillon lecteur d’odeurs,

Lequel méprise

Les pétales feuilletés par son église.

La rivière aisée

Des baisers

Coule ses salives

Entre deux joues rétives.

Le village

Est de passage

Entre la rivière

Et le ruisseau de ses visages.

Le village,

Au départ du voyage,

Se déterre de mon cœur de métal,

Comme artère principale.

Il est hameau,

Au sanglot des prés,

Aguerri

Et des blessures de son clocher

Il va guéri.

Je n’ai nul répit

Pour compter l’ondée des épis

Et pour déboucher le chant repeint

Des farines à la lèvre du pain.

Je pense à l’extase

De la phrase

Et à la mélancolie

Jolie

Que le sage préfère

Aux cimetières chevelus

De l’or, tresse perdue,

À l’homélie du fer.

Le destrier, volcan à cran d’Oradour,

Devient ouvrier à la paume répétée

Du psaume des labours ;

La rivière versifie, populaire à comprendre

Dans le narré qu’exigent ses nobles méandres.

Devant le mont

Signé de son prénom,

L’astre se rassemble damoiseau

Et comme soleil entr’ouvert

Sous l’épaule des eaux.

Je pleure le fleuve

Dont le regard dernier s’espère

Dans le mitan des yeux si ouverts de la mer ;

Fleuve étrange en sa fange

Que la mer prochaine dérange

Et tel obscur réticent à la lumière trempée du mélange.

Frère, ne remets pas à la Croix de demain

Le bonjour du Temple aux lèvres du parchemin

Et qui déchire la prière avariée de tes mains.

Seigneur, tu es, ô Très-Altier, face de ma trace,

Soleil métissé de sombres métiers

Et trésorier en la chair des hélas ;

Tu entends le cri de l’or

Au cœur d’un délit du corps

Que la grâce endort.

Frère, tel alphabet du vol de l’hirondelle amère,

Toi le veuf redoutable des merveilles de la mer,

Interroge sans voile

La nuit qui n’est alors

À tes lèvres qu’une profonde joue d’aurore ;

Nuit où ton corps d’été,

Épousé de clartés

Difficiles,

Redresse la chair qui rutile,

Revenue du baiser des étoiles.

Ton Nom, Iahvé, est murmure

Dans l’azur ventre ouvert

Par la clarté, le poignard

Que libèrent les cris de nos murs.

Je revois encore le grand fleuve éberlué,

Sauveur de la mer électrique

Et dieu au flanc mordu

Par le jus inédit des Tropiques.

 

DES MOTS SOUS LE SOLEIL

Préface

Claude Hardy est une voix, pas seulement phonique, de l'intérieur. Il en impose par sa stature et son timbre. Sa présence est unique.

La première fois que je l'ai entendu (et vu) j'ai été subjugué, tout comme l'assistance.

La puissance de ses mots, gravés dans le granit, la ponctuation qui anime ses phrases, m'ont tout de suite fait penser à ces bardes bretons, dont Glenmor. Je le lui ai d'ailleurs dit, alors, il ne connaissait guère, mais a apprécié la comparaison. Son phrasé est une vague qui caresse, puis submerge. Ah ! Ce n'est pas l'amphigouri d'une de ces poésies, dites modernes!

 Claude Hardy signe son cinquième recueil : "Des mots sous le Soleil". Son inspiration lui vient de Très Haut, pour ne pas dire « du ». Et il me fait la joie, moi mécréant notoire, de lui écrire une préface. C'est dire sa largeur d’esprit et sa tolérance.

 Aussi lisez et relisez-le, pour pénétrer et voyager dans sa poésie.

Jean-Marie Moricot

 

IL DISAIT

 

 

Jésus disait ce que le ciel dépense. Oui, il disait qu’un Dieu, loqueteux, prise les riches enfants vêtus de silence. La Croix s’en venait, dressée après le coucher des jouvences et le fils agrandissait bien que géniture avare à la naissance. Jésus déchiffrait les actes par le Père en contact, puis le récit d’azur sonna dans ses fémurs.

 

Celui qui vient, avec ses sandales bouleversées, dénoue la gorge des mélodieux chemins. Jean, le vrai auteur du miel, retarde ses abeilles de sorte à être à l’heure où le berger saignera le poignard de sa voix. Il nourrira alors l’âge parvenu aux tempes du peuple théophage. Le Seigneur est vainqueur comme seul désert dont les sables élèves chevauchent les villages en nage et la patrie inouïe entend l’absence que module la silice des voix qui se hissent. Il est venu au bout de nos dégoûts, il n’est pas nu, bien que par sa parole dévêtu, je l’ai vu tôt et mes yeux, en retard de hasard, ne m’ont pas cru.

 

L’enfant grandissait, le ciel s’élevait obéissant à son sang, rebelle aux fermetures dictées du péché de roture. Sa taille était victuaille et sa main achevait le dépôt de nos nuques, le ciel s’écrivait tel que le lisait Luc. Je suis la vie que la mort envie et que l’eau aime comme l’aime le poème du puits. La Judée, la Samarie, ont vu dépasser l’âne vague qui conduisait au pré tout précis de Marie. J’ai l’enfant dans les yeux tandis que mes lèvres relèvent le rebond des mots sur les pentes taciturnes de l’Esprit. Le Fils prononce un père, lequel ne l’a point dédit, et nous ornons cette rive dive dont l’océan ne s’est jamais produit.

 

Je crains la parabole d’idole que répète un vieux silence, mais le ciel est né duquel Marie a tué l’absence. Les élèves, pourtant peu hâtifs à l’amour, acceptent le maître de sa menace ; il est vaste disparu que précède à l’envi le pays de ses traces. L’amour se va et le monde augmente en fleuve inondé d’oiseaux.

 

Le Sire a vécu la naissance, fille éternelle douce, ma chair à sa source est devenue mousse. L’amour ici me va, mais le ciel soumis à la fenêtre de l’être, me file sous les doigts.

 

Les vivants et les morts n’ont-ils pas corps que Dieu chérit, que Mort adore ?

 

L’enfant, sans armée acclamée, marche sur les sceptres jonchant l’azur habité de rois et la Loi ligature la nature des silences qui se dépensent à la voix où se déverse le choix. Seigneur, le rêve de mes yeux a veillé ta prunelle, ton repos rend mon lit fraternel.

 

 

LA FEMME COMMENCE AVEC UN FLEUVE

Claude Hardy  est un poète né en Normandie. La Seine et l’Epte irriguent ses images d’enfance et son écriture poétique. Des études de Lettres le mènent au professorat. A partir de 2009 sa vocation poétique se révèle, d’abord associée à l’œuvre du peintre Gérard Marchand.

2010 : publication de son premier recueil : « Paroles de sable à la mer ».

2010-2011,  il travaille avec un autre peintre, Françoise Roullier à la confection d’un « livret d’artiste ».

2012 : publication de son  second recueil : « Les corps d’un poète ».

2014 : publication du troisième recueil : « Le calme en ce royaume ».  

Claude Hardy est membre de Poésie et Nouvelles en Normandie.

Sa poésie originale, hors norme, s’apparente au lyrisme  et s’attache à la notion de « paysage intérieur ».  Elle est écrite dans une langue qui rompt avec l’écriture conventionnelle.

« Claude Hardy en appelle au chant, il croit aux pouvoirs du vocable. Ses textes sont profération, enchantement de la parole. .. Mais ses mots gardent aussi un sens, qui n’est pas « celui de la tribu » comme le disait si bien Mallarmé, mais un sens qui suggère, emporte et ravit celui qui accepte de se laisser entraîner dans les sarabandes syntaxiques et sémantiques de l’auteur.  Comme tout vrai créateur, Claude Hardy a son langage personnel à ses fins poétiques. Rien n’est donné à la facilité.  Mais il faut se laisser porter, comme par le fleuve, emporter comme par la femme, vers l’océan du texte, et accepter cette invitation au voyage, au savoir,  et à la découverte… »

Martial Maynadier

Derniers commentaires

10.05 | 13:25

Hello Didier,
Après Art-Cœur, un autre point de contact avec tes mondes poétiques, j'attends la prochaine rencontre avec impatience,
Christian

24.04 | 07:54

"La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer le silence" (Miles Davis)

08.11 | 18:36

Bonjour, j'ai cotoyé votre maman à Molay et je voudrais vous envoyer une photo que j'ai prise devant sa maison natale

07.08 | 16:21

Partagez cette page