Le Pont des Arts et des Rencontres Culturelles Blanche Maynadier

TOUT UN MONDE EN 80 LIVRES d'Elisabeth Slamani

Élisabeth Slamani habite  la métropole lyonnaise depuis une trentaine d’années. Professeure certifiée de lettres, elle a enseigné dans différents établissements scolaires et en formation continue. C’est avec les adultes en reconversion qu’elle a eu recours à l’atelier d’écriture, activité qu’elle continue à exercer pour des particuliers à la recherche de mots qui pleurent, de mots qui chantent. Elle a écrit des Nouvelles et trois romans.

 

Début du livre:

Chapitre I- Un été avec Homère

 

On ouvre la porte de la librairie restaurant et toutes les senteurs du monde font frissonner les narines. Les parfums d’Orient qui auraient pu laver le sang sur les mains de Lady Macbeth se mêlent aux embruns de l’Océan Atlantique.

Il suffit de fermer les yeux quelques minutes et on embarque pour un voyage au long cours.

Chaque matin, lorsque Zélie ouvre la porte de sa librairie, happée par le pot-pourri des épices, du papier, des thés, des cafés, du bois et des fleurs, elle rêve. Elle est à Barcelone, à Madras, à Copacabana. Cinq minutes. Peut-être moins.

Elle ouvre les yeux, le quotidien est là, avec la mise en place attractive des livres, l’organisation du salon de thé, de tous les ingrédients pour le plat du jour exotique et les pâtisseries variées.

Bernard, Le cuisinier que Zélie a embauché a beaucoup voyagé et il a rapporté bon nombre de recettes de ses escales.

Zélie aussi a parcouru le monde ; de la Manche à la mer Noire en passant par l’Océan, Atlantique la Méditerranée, l’Adriatique et la Mer Égée.

Souvent, elle a accompagné dans ses déplacements, à travers les continents, Marc, son mari, ingénieur.

Pendant qu’il travaillait, elle visitait et, quelquefois, ils avaient le temps de s’installer. Ils découvraient ainsi différents modes de vie.

Elle adorait faire le marché. C’est là, pensait elle qu’on voit vivre les gens. Dans certains pays, ils sont si colorés, si parfumés.

Quand voyager est un loisir, Marc préfère être seul. Zélie respecte ce choix. Lorsqu’ils étaient jeunes, elle restait chez elle à cultiver son jardin au sens propre comme au figuré selon « Candide » qui préconisait ce conseil après un périple en Prusse, au Portugal, au Surinam… À la recherche de l’Eldorado qu’il n’a pas trouvé. Parfois, elle s’autorisait quelques escapades avec des amies en France ou à l’Étranger.

À présent, elle voyage à travers les livres de sa librairie. Elle a dans ses carnets de bord assez d’échantillons humains pour une représentation du monde.

Il reste des pays inconnus, de vieux rêves qui ne se réaliseront pas, et aussi des contrées où elle ne souhaite pas se rendre. L’Australie par exemple, Elle imagine son Histoire comme un « remake », pour parler moderne et cinéma, de l’Histoire des États-Unis. Les uns ont exterminé les Indiens, les autres les Aborigènes. S’ajoute à cet a priori, le roman de Douglas Kennedy piège nuptial, parfois rebaptisé « cul de sac » qui l’a guérie de l’envie d’y mettre les pieds un jour. Cependant, il faut lire cet ouvrage comme une mise en garde.

Elle lit. Ne voyage-t-on pas dans l’espace et le temps en lisant ?

Elle vend du rêve et de la réalité en même temps.

Elle-même, au détour d’un mot, d’une phrase, d’une odeur, d’une photographie, elle s’absente. Elle est en Crète, à Istanbul, à Glasgow…

Nostalgie ? Des souvenirs heureux qu’elle voudrait revivre ? Elle ne se pose pas la question. Elle s’évade un moment ; les jours qui raccourcissent !

La clochette de la porte tintinnabule. On échange un sourire, bonjour, bienvenue, avez-vous ce livre ? Auriez-vous un livre qui….

Zélie remarque ce jeune homme mal coiffé, barbe en broussaille. Il vient tous les jours, feuillette mais n’achète rien. S’il revient demain, elle engagera la conversation.

Les heures filent sur les musiques du Monde. Les voix et les langues se bousculent dans la librairie de la rue de la Grande Côte à Lyon. Zélie n’a plus le temps de rêver, il faut enregistrer les ventes, conseiller, parler anglais, italien, espagnol, allemand, avec des signes quand on ne connaît pas la langue.

Le soir tombe. Bernard, le cuisinier est parti depuis longtemps. Anna et Samir, les vendeurs, aident Zélie à ranger. Eux aussi ont conseillé en différentes langues, fait des paquets cadeaux mais la journée est terminée. Zélie doit « faire la caisse », vérifier qu’il n’y a pas eu trop de vols et que le compte est bon.

Demain, elle ouvrira la porte, embarquera pour de lointains rivages, cinq minutes, enveloppée par les senteurs de sa librairie puis, les tâches habituelles reprendront le dessus.

Après une pause dans le silence, elle ferme la boutique et s’apprête à remonter la côte pour atteindre le plateau, le quatrième arrondissement de Lyon, où elle habite, rue de nuits. Encore un nom qui prête à la rêverie.

Marc est au Japon actuellement. Pas de cuisine ! Un plateau télé rapidement préparé. Le journal télévisé.

Le téléphone sonne. C’est Anne, sa sœur. Un week-end à Paris ? Volontiers. Elle partira samedi matin tôt. Depuis la révolte hebdomadaire des haineux, elle n’ouvre pas le samedi, dût-elle perdre beaucoup d’argent. Elle ne veut pas voir sa librairie saccagée.

Cette semaine, elle sera dans le train quand les enragés des carrefours, comme elle les appelle, prépareront leurs slogans nauséabonds. Elle saura bien plus tard de quelle violence, ils ont joué et ce qu’ils ont détruit.

À Lyon, ils sont très violents. La semaine passée Ils ont mis le feu à une voiture de police, les agents à l’intérieur ont échappé de justesse à la mort. Cela se passe en centre ville mais au-delà, on ne connaît pas les débordements. Par ailleurs, ils peuvent être au courant de ses opinions et le lui faire payer.

Zélie enrage devant le journal télévisé bien pauvre en informations. Quand on sait ce qui se passe en Syrie, en Turquie, au Yémen, en Iran et qu’on nous parle pendant un quart d’heure de la cueillette des tomates ou des inondations dans le Sud-Ouest avec les mêmes scènes et les mêmes gens, ça met en colère. Les journalistes s’étonnent qu’on les déteste ou qu’on les méprise mais ils font ce qu’il faut pour ça.

Elle éteint la télévision et va se coucher en  Grèce, avec Sylvain Tesson et son  été avec Homère.

C’est un livre capital pour elle. Le mythe d’Ulysse et toute cette histoire qui a traversé les siècles sans qu’on ait pu démêler le quotidien de la Grèce antique et la légende.

Demain, dans le train, elle partira en Afrique, au Mali, plus précisément, avec le délicieux roman d’Eric Orsenna, Madame Ba. Que de vérités et de dérisions ! Madame Ba veut aller en France pour vérifier que tout se passe bien pour son petit-fils. Cependant, elle est noyée dans les formalités. Chaque document est un retour sur sa vie et sur son pays. Contrairement à ce qu’a dit un président, l’Afrique a une Histoire. Une Histoire, bien à elle, en dehors des pays européens qui l’ont saccagée sous prétexte de l’aider à vivre.

Derniers commentaires

10.05 | 13:25

Hello Didier,
Après Art-Cœur, un autre point de contact avec tes mondes poétiques, j'attends la prochaine rencontre avec impatience,
Christian

24.04 | 07:54

"La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer le silence" (Miles Davis)

08.11 | 18:36

Bonjour, j'ai cotoyé votre maman à Molay et je voudrais vous envoyer une photo que j'ai prise devant sa maison natale

07.08 | 16:21

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